19
Lyra et sa mort

 

J’étais en colère contre mon ami,

j’exprimai ma fureur, et ma fureur

disparut.

 

William Blake

 

Ici et là, des feux avaient été allumés au milieu des ruines. La ville était un gigantesque fatras de pierres, sans rues, sans places, sans espace vide, sauf aux endroits où une maison s’était écroulée. Quelques églises ou bâtiments publics se dressaient encore au-dessus des gravats, mais leurs toitures étaient crevées ou leurs murs lézardés, un portique s’était même affaissé sur les colonnes qui le soutenaient. Entre les carcasses vides des bâtiments de pierre, un labyrinthe de cabanes et de baraques avait été construit à l’aide de poutres brisées, de vieux bidons de pétrole cabossés, de boîtes de biscuits en fer, de plaques de polyéthylène, de planches de contreplaqué et de morceaux de carton.

Les fantômes qui avaient fait la route en compagnie de Lyra et des autres se précipitaient vers cette ville, et d’autres individus semblables arrivaient de toutes les directions. On aurait dit des grains de sable glissant vers le trou d’un sablier. Les fantômes pénétraient directement dans le capharnaüm sordide de la ville comme s’ils savaient où ils allaient. Lyra et Will s’apprêtaient à les suivre mais, soudain, une silhouette indistincte sortit de l’encadrement d’une porte rafistolée et une voix s’exclama :

— Pas si vite !

Une faible lumière luisait derrière cet homme, et on avait du mal à discerner ses traits, mais ils savaient que ce n’était pas un fantôme. Il était vivant, comme eux. C’était un homme mince, qui aurait pu avoir n’importe quel âge, vêtu d’un costume déchiré ; il tenait un stylo et une liasse de feuilles de papier maintenues par une pince à dessin. La maison d’où il était sorti ressemblait à un poste de douane, installé à une frontière rarement traversée.

— Quel est donc cet endroit ? lui demanda Lyra. Et pourquoi ne peut-on pas y entrer ?

— Vous n’êtes pas morts, répondit l’homme d’un ton las. Il faut attendre dans la zone de transit. Allez un peu plus loin sur la gauche et donnez ces papiers à l’agent qui se trouve à l’entrée.

— Pardonnez-moi, monsieur, dit Lyra, j’espère que vous ne m’en voudrez pas de vous demander ça, mais comment a-t-on pu arriver jusqu’ici, si nous ne sommes pas morts ? Car c’est bien le monde des morts, n’est-ce pas ?

— C’est une banlieue du monde des morts. Parfois, des vivants se retrouvent ici par erreur, mais ils doivent attendre dans la zone de transit avant de pouvoir continuer.

— Pendant combien de temps ?

— Jusqu’à ce qu’ils meurent.

Will fut pris de tournis. Voyant que Lyra allait protester, il s’empressa de la devancer :

— Pouvez-vous nous expliquer simplement ce qui se passe ensuite ? Ces fantômes qui viennent ici, ils restent dans cette ville pour toujours ?

— Non, non, répondit le fonctionnaire. Ici, ce n’est qu’un port. Ils prennent le bateau ensuite.

— Pour aller où ? demanda Will.

— Ça, je n’ai pas le droit de vous le dire, répondit l’homme, et un petit sourire amer creusa deux rides aux coins de sa bouche. Allez, circulez, maintenant. Vous devez aller dans la zone de transit.

Will prit les papiers qu’il leur tendait, puis il agrippa Lyra par le bras et l’entraîna.

Les libellules volaient plus lentement, et Tialys expliqua qu’elles avaient besoin de se reposer. Alors, elles se posèrent sur le sac à dos de Will et Lyra autorisa les deux espions à se percher sur ses épaules. Pantalaimon, transformé en léopard, leur jetait des regards jaloux, mais il ne dit rien. Ils marchaient, suivant le chemin, contournant les misérables cabanes, les flaques d’eaux usées en observant le flot ininterrompu de fantômes qui se déversait dans la ville, sans rencontrer le moindre obstacle.

— Il faut franchir cette eau, comme les autres, déclara Will. Peut-être que les gens dans cette zone de transit nous renseigneront. Ils n’ont pas l’air agressifs, en tout cas, ni dangereux. C’est étrange. Et ces papiers...

C’étaient de simples feuilles arrachées à un carnet, sur lesquelles des mots avaient été griffonnés au hasard, puis rayés. On aurait dit que tous ces gens jouaient à un jeu ; ils attendaient de voir à quel moment les voyageurs allaient les provoquer, ou bien renoncer et éclater de rire. Et pourtant, tout paraissait tellement réel !

Il faisait de plus en plus sombre et froid ; il n’était pas facile de garder la notion du temps. Lyra avait l’impression qu’ils marchaient ainsi depuis une demi-heure, mais cela faisait peut-être deux fois plus longtemps. Le décor ne changeait pas. Enfin, ils atteignirent une petite cabane en bois, semblable à celle devant laquelle on les avait arrêtés précédemment. Une ampoule électrique de faible intensité était suspendue à un fil au-dessus de la porte.

Alors qu’ils approchaient, un homme vêtu à peu près comme le premier sortit, une tartine de pain beurré à la main. Sans un mot, il examina leurs papiers et hocha la tête.

Il les leur rendit et s’apprêtait à rentrer, quand Will le rappela :

— Excusez-moi... Où doit-on aller maintenant ?

— Trouvez un endroit pour vous installer, répondit l’homme d’un ton rogue. Demandez aux autres. Tout le monde attend, comme vous.

Il pivota sur lui-même et referma sa porte pour ne pas laisser entrer le froid. Les voyageurs n’avaient plus qu’à pénétrer au cœur de ce bidonville où devaient attendre les vivants.

Cet endroit ressemblait beaucoup à la ville principale : de petites cabanes misérables, rafistolées d’innombrables fois, avec des bâches en plastique ou des plaques de tôle ondulée, appuyées n’importe comment les unes contre les autres le long de ruelles boueuses. Par endroits, un fil électrique pendait dans le vide et fournissait juste assez de courant pour alimenter une ampoule ou deux, fixées au-dessus des cabanes les plus proches. Mais la principale source lumineuse, c’étaient les feux, dont la lueur enfumée projetait des ombres dansantes et rouges sur les matériaux hétéroclites des constructions, comme les dernières flammes d’une gigantesque explosion, qui continuaient à vivre par pure cruauté.

En approchant, Will, Lyra et les Gallivespiens distinguèrent cependant de nouveaux détails et, surtout, plusieurs silhouettes recroquevillées dans l’obscurité, appuyées contre les murs, seules ou par petits groupes, parlant à voix basse.

— Pourquoi ces gens sont-ils dehors ? demanda Lyra. Il fait froid.

— Ce ne sont pas des gens, répondit Lady Salmakia. Ni même des fantômes. C’est autre chose, mais je ne sais pas quoi.

Les voyageurs approchèrent des premières cabanes, éclairées par une unique ampoule de faible puissance, qui se balançait doucement au bout d’un fil dans le vent glacial. Instinctivement, Will posa la main sur le manche de son poignard. Un groupe de ces êtres à l’apparence humaine se tenait devant la maison, accroupi, en train de jouer aux dés. En voyant approcher les enfants, ils se levèrent : ils étaient cinq, tous des hommes ; leurs visages disparaissaient dans l’ombre, ils étaient vêtus de haillons. Aucun ne parlait.

— Comment s’appelle cette ville ? demanda Will.

Pas de réponse. Certains reculèrent d’un pas et ils se rapprochèrent les uns des autres, comme s’ils avaient peur. Lyra sentit le duvet de ses bras se hérisser, sans qu’elle en comprît la raison. Sous sa chemise, Pantalaimon tremblait et murmurait :

— Non, non, Lyra. Va-t’en, ne restons pas ici, je t’en supplie.

 Les gens ne bougeaient pas. Finalement, Will haussa les épaules et dit :

— Bon, bah, bonsoir à vous.

Et il repartit. Ils rencontrèrent des réactions similaires chez tous ceux qu’ils croisaient et à qui ils s’adressaient et, chaque fois, leur inquiétude s’amplifiait.

— Dis, Will, tu crois que ce sont des Spectres ? demanda Lyra à voix basse. On est devenus assez grands pour voir les Spectres ?

— Non, je ne pense pas. Si c’étaient des Spectres, ils nous attaqueraient. Or, on dirait qu’ils ont peur de nous. Je ne sais pas ce que sont ces créatures.

Soudain, une porte s’ouvrit et une lumière jaune se répandit sur le sol boueux. Un homme – un véritable homme, un être humain – se tenait dans l’encadrement, et il les regardait approcher. Le petit groupe de créatures rassemblées autour de la porte recula de plusieurs pas, comme par respect, et les voyageurs découvrirent alors le visage de l’homme : flegmatique, inoffensif et doux.

— Qui êtes-vous ? leur demanda-t-il.

— Des voyageurs, répondit Will. Nous ne savons pas où nous sommes. Quelle est cette ville ?

— C’est la zone de transit, déclara l’homme. Vous venez de loin ?

— Oui, de très loin, et nous sommes fatigués, dit Lyra. Pourrions-nous vous acheter de la nourriture et vous payer pour avoir un toit ?

L’homme scrutait l’obscurité derrière eux, puis il sortit de chez lui pour examiner les alentours, comme s’il cherchait quelqu’un. Finalement, il se tourna vers les êtres étranges qui se tenaient à proximité, et leur demanda :

— Avez-vous vu une mort ?

Ils secouèrent la tête, et les enfants entendirent une voix murmurer :

— Non, non, aucune.

L’homme se retourna. Derrière lui, dans l’encadrement de la porte, des visages apparaissaient : une femme, deux jeunes enfants, et un second homme. Ils paraissaient nerveux et inquiets.

— La mort ? dit Will. Nous n’apportons pas la mort.

Cela semblait être justement la chose qu’ils redoutaient car, quand Will prononça ces mots, tous les vivants laissèrent échapper un petit hoquet d’effroi, et même les créatures rassemblées au-dehors eurent un mouvement de recul.

— Excusez-moi, dit Lyra en s’avançant, avec son air le plus poli, comme si le concierge de Jordan Collège la foudroyait du regard. Je n’ai pas pu m’empêcher de remarquer la présence de ces... messieurs dehors. Sont-ils morts ? Pardonnez la brutalité de ma question mais, voyez-vous, là d’où nous venons, c’est une chose inhabituelle, et c’est la première fois que nous voyons des créatures semblables. Si je vous parais impolie, je vous prie de me pardonner. Dans mon monde, nous avons des daemons, chacun possède un daemon, et si nous voyions quelqu’un sans daemon, nous serions choqués, comme vous êtes choqués de nous voir. Mais depuis que nous voyageons, Will et moi – voici Will, et moi, je suis Lyra –, j’ai appris qu’il existait des gens qui n’avaient pas de daemon, comme Will par exemple, et au début j’étais morte de peur, je l’avoue, jusqu’à ce que je m’aperçoive que c’étaient en réalité des gens normaux, comme moi. C’est peut-être la raison pour laquelle notre présence vous rend nerveux, si vous pensez que nous sommes différents.

— Lyra ? Will ? répéta l’homme.

— Oui, monsieur, répondit-elle, humblement.

— Et ça, ce sont vos daemons ? demanda-t-il en désignant les deux espions perchés sur les épaules de Lyra.

— Non, répondit-elle, et elle fut tentée d’ajouter : « Ce sont nos domestiques », mais elle sentit que cela n’aurait pas plu à Will. Ce sont nos amis, le chevalier Tialys et Lady Salmakia, des gens très distingués et avisés qui voyagent avec nous. Et voici mon daemon, ajouta-t-elle en sortant Pantalaimon de sous sa chemise. Vous voyez, nous sommes inoffensifs et nous promettons de ne pas vous faire de mal. Nous voulons juste à manger et un toit. Nous repartirons dès demain. Promis.

Tout le monde attendait. La nervosité de l’homme avait été quelque peu atténuée par le ton aimable de Lyra, et les deux espions avaient eu la bonne idée d’afficher un air modeste et inoffensif. Au bout d’un moment, l’homme dit :

— Tout cela est étrange, mais nous vivons une époque étrange... Entrez donc, soyez les bienvenus.

Les créatures rassemblées au-dehors hochèrent la tête, une ou deux s’inclinèrent, et elles s’écartèrent respectueusement pour laisser entrer Will et Lyra dans la chaleur et la lumière de la maison. L’homme referma la porte derrière eux et accrocha un fil de fer à un clou pour la maintenir fermée.

La cabane se composait d’une pièce unique, éclairée par une lampe à naphte posée sur la table, propre, mais misérable. Les murs en contreplaqué étaient décorés de photos de vedettes de cinéma découpées dans des magazines et de motifs réalisés avec des empreintes de doigts noirs de suie. Un poêle en fonte était appuyé contre un des murs, et devant se trouvait un séchoir à linge sur lequel pendaient des chemises défraîchies et fumantes ; sur un buffet étaient posés un autel constitué de fleurs en plastique, de coquillages, de bouteilles de parfum colorées et autres bricoles de mauvais goût, disposées autour de la photo d’un squelette guilleret coiffé d’un chapeau haut de forme et portant des lunettes noires.

La cabane était surpeuplée : outre l’homme, la femme et les deux jeunes enfants, il y avait un bébé dans un berceau, un deuxième homme plus âgé et, dans un coin, sur un tas de couvertures, une femme très vieille était allongée. Elle regardait tout ce qui se passait avec des yeux pétillants, au milieu d’un visage ridé. En l’observant, Lyra eut un choc : les couvertures bougèrent brusquement et un bras décharné apparut, enveloppé d’une manche noire, suivi d’un second visage, un visage d’homme cette fois, si vieux qu’on aurait presque dit un squelette. À vrai dire, il ressemblait davantage au squelette de la photo qu’à un être humain. Will l’aperçut à son tour, et tous les voyageurs comprirent en même temps qu’il était de la même espèce que ces créatures craintives et respectueuses qui attendaient dehors. Ils se figèrent, comme l’homme quand il les avait découverts devant sa porte.

En fait, toutes les personnes présentes dans cette cabane surpeuplée, à l’exception du bébé qui dormait, étaient muettes de stupeur. Finalement, ce fut Lyra qui retrouva la parole la première :

— C’est très aimable à vous, merci. Bonsoir à tous. Nous sommes ravis d’être ici. Et comme je le disais, nous sommes désolés d’arriver sans une mort, si telle est la coutume locale. Mais nous ne vous dérangerons pas longtemps. En fait, nous cherchons le pays des morts, et c’est comme ça que nous avons atterri ici. Mais nous ne savons pas où il se trouve, ni si cet endroit en fait partie, ni comment nous y rendre. Alors, si vous pouvez nous renseigner, nous vous en serions très reconnaissants.

Les habitants de la cabane, demeuraient hébétés, mais les paroles de Lyra détendirent un peu l’atmosphère, et la femme invita les voyageurs à s’asseoir autour de la table, en tirant un banc. Will et Lyra déposèrent les libellules endormies sur une étagère dans un coin sombre, et Tialys dit qu’elles dormiraient jusqu’au lever du jour, puis les Gallivespiens s’installèrent à table eux aussi.

La femme avait préparé un ragoût. Elle éplucha quelques pommes de terre qu’elle coupa dans la marmite afin de rendre le plat plus copieux, et elle incita son mari à offrir des rafraîchissements à leurs hôtes pendant que le ragoût mijotait. L’homme sortit une bouteille contenant un liquide transparent et acre qui sentait un peu comme le genièvre des gitans, se dit Lyra, et les deux espions acceptèrent eux aussi un verre, dans lequel ils plongèrent leurs propres petites coupes pour boire.

Lyra avait cru que la famille n’aurait d’yeux que pour l’étrange couple de Gallivespiens, mais elle s’aperçut que leur curiosité était dirigée tout autant vers Will et elle-même. Elle ne tarda pas à demander pour quelle raison :

— Vous êtes les premières personnes qu’on voit qui n’ont pas de mort, expliqua l’homme, qui se nommait Peter, apprirent-ils. Depuis notre arrivée ici, je veux dire. Nous sommes comme vous, nous sommes venus ici avant d’être morts, par hasard ou par accident. Nous devons attendre que notre mort nous informe que l’heure a sonné.

— Votre mort va vous prévenir ? demanda Lyra.

— Parfaitement. C’est ce que nous avons appris en arrivant ici, il y a longtemps pour la plupart Nous avons découvert que nous amenions tous notre mort avec nous. Nos morts étaient à nos côtés depuis toujours, mais on ne le savait pas. Vous voyez, tout le monde en a une. Elle nous accompagne partout, durant toute notre vie, tout près. Les nôtres sont dehors, elles prennent l’air. Mais elles entreront bientôt. La mort de grand-mère est déjà là, tout près d’elle.

— Cela ne vous effraie pas de voir votre mort si proche, en permanence ?

— Pourquoi donc ? Quand elle est près de vous, vous pouvez l’avoir à l’œil. Franchement, je serais beaucoup plus inquiet si je ne savais pas où elle est.

– Tout le monde a sa propre mort ? demanda Will, stupéfait.

– Oui, dès que vous naissez, votre mort vient au monde en même temps que vous, et c’est elle qui vous emporte.

— Ah ! Voilà justement ce qu’on veut savoir, dit Lyra. Nous cherchons la terre des morts, mais nous ne savons pas comment y accéder. Où va-t-on une fois qu’on meurt ?

— Votre mort vous tape sur l’épaule, ou bien elle vous prend la main, et elle vous dit : « Suis-moi, l’heure a sonné. » Ça peut arriver quand vous êtes malade, avec une forte fièvre, ou quand vous vous étouffez avec un morceau de pain, quand vous tombez d’une fenêtre. Alors que vous souffrez, la mort vient vers vous, gentiment, et elle vous dit : « Du calme, mon enfant, viens avec moi. » Alors, vous montez sur un bateau avec elle et vous traversez le lac, dans le brouillard. Ce qui se passe ensuite, nul ne le sait. Personne n’est jamais revenu pour le raconter.

La femme demanda à un des enfants de faire entrer les morts, et celui-ci se précipita au-dehors pour leur parler. Sous le regard hébété de Will, de Lyra et des Gallivespiens qui s’étaient rapprochés l’un de l’autre, elles – une pour chaque membre de la famille – entrèrent dans la cabane : silhouettes pâles et banales, pauvrement vêtues, tristes, muettes et ternes.

— Ce sont vos morts ? demanda Tialys.

— En effet, monsieur, répondit Peter.

— Savez-vous déjà quand elles vous annonceront que le moment est venu de les suivre ?

— Non. Mais on sait qu’elles sont tout près, et c’est déjà un réconfort.

Tialys ne dit rien, mais il était évident qu’il ne partageait pas ce point de vue. Les morts s’alignèrent bien sagement contre le mur ; il était étrange de voir à quel point elles prenaient peu de place et attiraient peu l’attention. Lyra et Will se surprirent bientôt à ignorer leur présence, même si Will se disait : « Ces hommes que j’ai tués, ils avaient leur mort à côté d’eux depuis toujours, mais ils l’ignoraient, et moi aussi... »

La femme, prénommée Martha, servit le ragoût dans des assiettes émaillées ébréchées, et elle en mit un peu dans un bol pour les morts, qui le firent circuler. Elles ne mangeaient pas, elles se contentaient de renifler le délicieux fumet et cela leur suffisait. La famille et ses hôtes, mangeaient maintenant avec appétit, et Peter demanda aux deux enfants d’où ils venaient, et à quoi ressemblait leur monde.

— Je vais vous raconter, dit Lyra.

En disant cela, elle prenait les choses en main et elle sentit un petit courant de plaisir monter dans sa poitrine, comme les bulles dans le Champagne. Elle savait que Will l’observait, et elle était heureuse qu’il la voie faire ce qu’elle réussissait le mieux, pour lui et pour eux tous.

Elle commença par parler de ses parents. C’étaient un duc et une duchesse, dit-elle, des gens très riches et très importants qui avaient été dépouillés de leurs biens par un adversaire politique et jetés en prison. Heureusement, ils avaient réussi à s’échapper en descendant le long d’une corde, la petite Lyra blottie dans les bras de son père, et ils avaient récupéré leur fortune familiale, avant d’être attaqués et assassinés par des hors-la-loi. Lyra aurait été tuée elle aussi, si Will ne l’avait pas sauvée à temps en l’emmenant dans la forêt, où il vivait parmi les loups, qui l’avaient élevé comme l’un d’entre eux. Il était tombé du bateau de son père quand il était tout petit et s’était échoué sur une côte déserte. Là, une louve l’avait allaité et lui avait permis de survivre.

Son auditoire gobait ces invraisemblances avec une crédulité placide, et les morts elles-mêmes se rapprochèrent pour écouter ; perchées sur le banc ou allongées par terre, près de la table, elles regardaient Lyra avec leurs visages courtois et doux, tandis qu’elle faisait le récit de son existence avec Will dans la forêt.

Will et Lyra vécurent avec les loups pendant un certain temps, puis ils se rendirent à Oxford pour travailler dans les cuisines de Jordan Collège, Là, ils firent la connaissance de Roger ; et lorsque Jordan Collège fut attaqué par les briquetiers qui vivaient dans les carrières d’argile, ils durent s’enfuir en toute hâte, c’est ainsi que Will, Roger et elle s’emparèrent d’un bateau appartenant à des gitans pour descendre la Tamise, manquant de se faire prendre à Abingdon Long, mais ils furent coulés par les pirates de Wapping peu de temps après, et durent nager jusqu’à un clipper qui faisait route vers Hang Chow en Chine pour rapporter du thé.

A bord de ce trois-mâts, ils firent la connaissance des Gallivespiens, des étrangers venus de la lune, transportés sur terre par une puissante bourrasque jaillie de la Voie lactée. Ils avaient trouvé refuge dans le nid-de-pie de la vigie. Will, Roger et elle prirent l’habitude de monter tour à tour au sommet du grand mât pour aller les voir mais, un jour, le pauvre Roger perdit l’équilibre et tomba dans l’océan.

Ils tentèrent de convaincre le capitaine de faire demi-tour pour le secourir, mais c’était un homme insensible qui ne s’intéressait qu’à l’argent et il voulait atteindre la Chine le plus vite possible. Pour avoir la paix, il les fit jeter aux fers. Mais les Gallivespiens leur apportèrent une lime et...

Et ainsi de suite. De temps à autre, Lyra se tournait vers Will ou les espions pour obtenir la confirmation de ses dires ; Salmakia ajoutait un ou deux détails, Will hochait la tête, et l’histoire se poursuivit ainsi jusqu’au moment où les deux enfants et leurs amis tombés de la lune durent trouver le chemin du pays des morts afin d’apprendre, de la bouche de leurs parents, l’endroit secret où était cachée la fortune familiale.

— Si, dans notre monde, on connaissait notre mort comme vous, dit-elle, ce serait plus facile, sans aucun doute. Mais je me dis que nous avons eu de la chance d’arriver jusqu’ici, pour bénéficier de vos conseils. Merci encore pour votre gentillesse et votre attention, et pour ce repas, c’était vraiment très bon.

Mais ce qu’il nous faut maintenant, ou demain matin peut-être, c’est trouver un moyen de traverser cette étendue d’eau comme le font les morts, pour voir si on peut aller de l’autre côté, nous aussi. Croyez-vous qu’on puisse louer des sortes d’embarcations ?

Les membres de la famille paraissaient dubitatifs. Les enfants, les yeux gonflés par la fatigue, regardaient tous les adultes l’un après l’autre, mais aucun ne savait où on pouvait louer un bateau.

S’éleva alors une voix qui ne s’était pas fait entendre jusqu’alors. Des profondeurs des couvertures, dans le coin de la pièce, monta une voix nasillarde et brisée ; ce n’était pas celle d’une femme, elle n’était même pas humaine : c’était la voix de la mort de la grand-mère.

— La seule façon de traverser le lac jusqu’au pays des morts, dit-elle en se dressant sur un coude et en pointant son doigt décharné sur Lyra, c’est d’y aller avec votre mort. Il suffit de l’appeler. J’ai entendu parler de gens comme vous, qui maintiennent leur mort à l’écart. Vous ne l’aimez pas, alors par politesse elle reste en retrait. Mais elle n’est jamais très loin. Chaque fois que vous tournez la tête, elle se glisse derrière vous. Et chaque fois que vous essayez de l’apercevoir, elle se cache. Elle peut se dissimuler dans une tasse de thé. Dans une goutte de rosée. Ou dans un souffle de vent. Pas comme moi et la vieille Magda, hein ? dit la mort en pinçant la joue desséchée de la vieille femme, qui repoussa sa main avec agacement. Nous vivons en bonne amitié toutes les deux. Voilà la réponse à la question, petite. Voilà ce que vous devez faire. Invitez vos morts, accueillez-les chaleureusement, sympathisez avec elles, et vous verrez bien si vous pouvez vous arranger entre vous.

Ces paroles tombaient dans l’esprit de Lyra comme de lourdes pierres, et Will sentait lui aussi leur poids écrasant.

— Comment faut-il faire ? demanda-t-il.

— C’est simple. Il suffit de le souhaiter, et c’est fait.

— Attendez ! s’exclama Tialys.

Tous les regards se posèrent sur lui ; les morts qui étaient allongées par terre se redressèrent sur le flanc et tournèrent leurs visages vides et mornes vers cette minuscule créature pleine de fougue. Le chevalier se tenait près de Lady Salmakia, la main sur son épaule. Lyra devina ses pensées : il allait dire que tout cela avait assez duré, qu’ils devaient faire demi-tour maintenant, car cette folie prenait des proportions insensées.

Alors, elle intervint :

— Excusez-moi, dit-elle au dénommé Peter, mais il faut que je sorte un instant avec mon ami le chevalier, il a besoin de communiquer avec ses amis sur la lune, grâce à mon instrument spécial. Cela ne sera pas long.

Elle prit délicatement l’espion dans sa main, en évitant ses éperons, et l’emmena dehors dans l’obscurité, où un morceau de tôle ondulée détaché du toit cognait dans le vent glacial comme un glas sinistre.

— Arrête ça tout de suite ! s’écria Tialys dès que Lyra l’eut déposé sur un baril de pétrole retourné, dans la lumière blafarde des quelques ampoules nues suspendues à un fil électrique au-dessus de leurs têtes. Ça suffit comme ça. Stop !

— Nous avons conclu un accord, dit Lyra.

— Non. Il n’était pas question d’aller aussi loin.

— Très bien. Allez-vous-en, dans ce cas. Repartez sur vos libellules. Will vous ouvrira une fenêtre sur votre monde, ou n’importe quel autre monde de votre choix, et vous pourrez vous y réfugier. Nous n’avons pas besoin de vous.

— As-tu conscience de ce que tu fais ?

— Oui.

— Non. Tu n’es qu’une sale gamine irresponsable, écervelée et menteuse. Tu possèdes une telle imagination que ta nature tout entière est faite de mensonges, et tu n’es même pas capable de reconnaître la vérité. Je vais donc te mettre les points sur les i : tu ne peux pas, tu ne dois pas risquer ta vie. Tu dois venir avec nous immédiatement. Je vais contacter Lord Asriel et dans quelques heures nous serons à l’abri dans sa forteresse.

Lyra sentit un énorme sanglot de rage gonfler dans sa poitrine ; elle frappa du pied sur le sol, incapable de se contrôler.

— Vous ne savez rien ! Vous ignorez ce que j’ai dans le cœur, ou dans la tête ! Je ne sais pas si vous avez des enfants chez vous, peut-être que vous pondez des œufs, je n’en serais pas étonnée, car vous n’êtes pas un être gentil, vous n’êtes pas généreux, vous n’êtes pas compatissant... vous n’êtes même pas cruel ! Ce serait mieux si vous étiez cruel, ça voudrait dire que vous nous prenez au sérieux, que vous ne nous avez pas suivis seulement parce que ça vous arrangeait... Je ne peux plus vous faire confiance désormais ! Vous avez promis de nous aider, vous disiez qu’on ferait tout ensemble, et maintenant vous voulez nous empêcher de continuer... C’est vous qui êtes malhonnête, Tialys !

— Jamais je ne laisserais mon enfant me parler de manière aussi insolente, Lyra ! Je ne t’ai pas encore punie...

— Allez-y ! Punissez-moi, puisque vous pouvez le faire ! Utilisez donc vos fichus éperons ! Plantez-les fort, allez-y ! Tenez, je vous donne ma main... Allez-y ! Vous n’avez aucune idée de ce que j’ai dans le cœur, sale créature prétentieuse et égoïste. Vous ne savez pas à quel point je me sens triste et coupable à cause de mon ami Roger. Vous autres, vous tuez les gens comme ça ! dit-elle en faisant claquer ses doigts. Pour vous, ça ne compte pas. Mais pour moi, c’est une torture et une souffrance permanentes ; je n’ai pas pu dire adieu à mon ami Roger, je veux lui demander pardon et essayer de me racheter si je le peux. Mais ça, vous ne pouvez pas le comprendre, malgré toute votre fierté et toute votre sagesse d’adulte. Même si je dois mourir pour faire ce que je dois faire, tant pis, je mourrai, et j’en serai heureuse. J’ai connu pire. Vous voulez me tuer, vous l’homme brutal, l’homme fort, l’empoisonneur, vous le chevalier ? Allez-y, faites-le, tuez-moi. Comme ça, Roger et moi nous pourrons jouer éternellement au pays des morts, et on se moquera de vous, pauvre chose pitoyable !

Il était facile de deviner ce qu’aurait pu faire Tialys à cet instant, car il était tout rouge et tremblant de fureur de la tête aux pieds, mais il n’eut pas le temps de réagir car, soudain une voix s’éleva dans le dos de Lyra, et tous les deux sentirent un froid glacial les envelopper. La fillette se retourna, sachant ce qu’elle allait découvrir ; elle tremblait de peur, malgré sa bravade.

La mort se tenait devant elle, tout près, avec un grand sourire chaleureux. Son visage ressemblait parfaitement à ceux des autres morts, mais celle-ci, c’était la sienne, sa propre mort, et Pantalaimon, blotti sur sa poitrine, poussa un hurlement en tremblant et son corps d’hermine s’enroula autour du cou de Lyra pour tenter de l’éloigner de cette apparition. Mais en faisant cela, il s’en rapprocha sans le vouloir, et s’empressa de revenir se blottir sur la gorge chaude de Lyra, contre les battements violents de son cœur.

Lyra le serra contre elle et regarda la mort en face. Du coin de l’œil, elle voyait Tialys préparer rapidement son résonateur ; il ne faisait pas attention à elle.

— Vous êtes ma mort, n’est-ce pas ? dit-elle.

— Exact, ma chère.

— Vous n’allez pas m’emmener maintenant, quand même ?

— Tu m’as appelée. Je suis toujours là.

— Oui, mais... D’accord, c’est vrai, mais... Je veux aller dans le monde des morts, en effet. Mais je ne veux pas mourir. J’aime la vie, et j’aime mon daemon... Les daemons ne nous suivent pas, hein ? J’en ai vu disparaître quand les gens meurent, comme une bougie qu’on éteint. Y en a-t-il dans le pays des morts ?

— Non. Le tien se volatilise dans les airs, et toi, tu disparais sous terre.

— Moi, je veux emmener mon daemon quand j’irai dans le pays des morts, déclara-t-elle d’un ton catégorique. Et je veux en revenir. Est-ce que ça s’est déjà vu, des gens qui reviennent ?

— Pas depuis une éternité. Un jour ou l’autre, mon enfant, tu iras dans le monde des morts, sans effort, sans risque, après un voyage calme et sans danger, en compagnie de ta propre mort, ton amie loyale qui est à tes côtés à chaque instant de ta vie, qui te connaît mieux que toi-même...

— Mon meilleur ami, le plus loyal, c’est Pantalaimon ! Vous, la mort, je ne vous connais pas ! Je connais Pan et je l’aime, et si jamais il... si nous...

La mort hochait la tête. Elle semblait comprendre et compatir, mais Lyra ne pouvait pas oublier, même un instant, qui était cette créature : sa propre mort. Si près...

— Je sais qu’il sera difficile de continuer, dit-elle d’une voix plus maîtrisée. Et dangereux également. Mais je le veux, je le veux de tout mon cœur. Et Will aussi. Tous les deux nous avons perdu des personnes chères, trop tôt, et nous devons nous faire pardonner, enfin, moi du moins.

— Tout le monde voudrait parler à ceux qui sont partis dans le monde des morts. Pourquoi ferait-on une exception pour toi ?

— Parce que... j’ai une chose à accomplir là-bas, dit-elle en se lançant dans un nouveau mensonge. Je ne dois pas seulement voir mon ami Roger. Un ange m’a confié une tâche, et personne d’autre que moi ne peut l’accomplir. C’est trop important pour que j’attende de mourir de manière naturelle, ce doit être fait maintenant. L’ange m’a donné un ordre. C’est pour ça que nous sommes venus ici, Will et moi. Il le fallait.

Derrière elle, Tialys rangea son instrument et resta assis par terre pour regarder Lyra qui suppliait sa mort de la conduire là où personne ne pouvait aller en espérant revenir ensuite.

La mort se gratta la tête et haussa les épaules, mais rien ne pouvait détourner le désir de Lyra, pas même la peur : elle avait vu des choses plus terribles que la mort, affirmait-elle, et c’était vrai.

Finalement, la mort dit :

— Puisque rien ne peut te décourager, je ne peux dire qu’une seule chose : viens avec moi, je te conduirai là-bas, dans le pays des morts. Je serai ton guide. Je te montrerai le chemin pour y aller mais, pour revenir, tu devras te débrouiller toute seule.

— Et mes amis ? dit Lyra. Mon ami Will et les autres ?

Tialys intervint :

— Lyra, dit-il. Même si mon instinct me le déconseille, nous t’accompagnerons. J’étais furieux contre toi, il y a un instant. Mais il n’est pas facile de...

La fillette comprit qu’il était temps de se réconcilier avec le chevalier, et elle le fit de bon cœur, d’autant plus qu’elle avait obtenu gain de cause.

— Je suis navrée, Tialys, mais si vous ne vous étiez pas mis en colère, jamais nous n’aurions trouvé cette... personne pour nous guider. Je me réjouis donc que vous ayez été là, la lady et vous, et je vous suis sincèrement reconnaissante de nous accompagner.

C’est ainsi que Lyra convainquit sa propre mort de les guider, elle et les autres, jusqu’au pays des morts où s’en étaient allés Roger, le père de Will, Tony Makarios et tant d’autres. Sa mort lui dit de descendre sur la jetée quand les premières lueurs de l’aube apparaîtraient dans le ciel, et de se tenir prête à partir.

Mais Pantalaimon tremblait de tous ses membres et, malgré tous ses efforts, elle ne parvenait pas à le calmer, ni à faire taire ses petits gémissements. Si bien qu’elle dormit d’un sommeil agité et peu profond, couchée sur le sol de la cabane, au milieu des autres, sous le regard attentif de sa mort assise à côté d’elle.

Le Miroir d'ambre
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